Jana semble ne pas avoir pu attendre que je l’appelle moi-même comme je le lui avais promis. En plus de son SMS du matin, je sens finalement qu’elle tenait plus à moi que je ne le pensais.
Je décroche. Nous parlons un peu. Elle me témoigne de sa tristesse qui l’accompagne depuis notre dernier coup de fil. Je tente de lui expliquer dans quel état d’esprit j’étais la veille, je lui redis que ça faisait plusieurs jours que nos petites vacances prévues ensemble ne m’enthousiasmaient plus et que ça m’a motivé à me poser des questions sur la poursuite de notre relation. Je reconnais que ma décision a été un peu brutale et impulsive.
Franchement, je suis surpris de voir qu’elle n’a aucune animosité envers moi. Après une matinée empreinte de tristesse pour tous les deux, j’ai un peu envie de revenir sur ma décision… même si j’ai conscience que c’est reculer pour mieux sauter. Elle me dit avoir toujours envie de me voir et de partir avec moi. Sans savoir si c’est vraiment une bonne idée, je lui réponds que je vais réfléchir.
Un peu plus tard, je lui envoie un SMS :

Elle me rappelle le soir, nous parlons encore de notre relation. Elle m’avait envoyé un SMS en réponse au mien que je n’ai pas reçu. Je lui demande de me le renvoyer :

Je n’aurais sûrement pas pu partir avec elle dans de bonnes conditions sans lui avouer ma lassitude. En plus de libérer ma conscience, expliquer à Jana que j’avais marre de notre relation m’a permis de voir qu’elle tenait à moi. Elle m’a redonné envie de faire encore un petit bout de chemin avec elle. La tendresse est contagieuse, sa patience et sa compréhension ont eu raison de mon amertume.
Tout ceci ne signifie pas que notre relation est repartie de plus belle. Simplement nous continuons à nous voir. Nous ne faisons pas de projets, nous profitons du moment présent. Notre relation est évidemment condamnée mais je suppose que nous nous quitterons plus doucement quand le moment sera venu. Les relations incomplètes, ce n’est pas simple, je n’ai plus envie de m’engager dans des histoires vouées à l’échec.

Cela faisait plusieurs semaines que nous avions prévu de faire ce petit voyage ensemble jusqu’au bord de l’océan. Plus ce week-end approchait, moins j’étais sûr de mon désir de partir avec elle. Après une journée exécrable et l’encouragement d’un ami au téléphone pour que je mette « un terme à cette relation qui ne m’apporte rien », je décide que, puisque tout va mal, autant aller au bout et annoncer à Jana que je ne souhaite plus la revoir…
Je ne voulais pas que notre séparation prédite soit aussi brusque. J’aurais préféré que ce soit plus doux, plus progressif, que nous prenions chacun un peu de distance au fil du temps. Mais expliquer à Jana que je ne souhaitais plus partir avec elle 5 jours avant le début de son petit congé sans rompre purement et simplement m’aurait paru encore plus malsain. Et je ne voulais pas partir avec elle dans un mauvais état d’esprit.
Tandis que j’essaie sans succès de joindre Jana au téléphone, je suis déjà triste à l’idée de lui annoncer ma décision. Vers une heure du matin, mon téléphone sonne : c’est elle. J’entends sa jolie voix emplie de tendresse me lancer un « coucou » et me demander si ça va… Si je m’écoute, je vais me dégonfler et fuir les grandes décisions, aussi je décide de m’en tenir à ma résolution. Je lui réponds que non, ça ne va pas, que j’ai passé une très mauvaise journée et que par dessus tout ça je pense qu’il faut que nous arrêtions de nous voir. Elle ne répond rien, je sens qu’elle accuse le coup. Je lui parle de mes réflexions : que j’ai ressenti plus que jamais au cours de ces derniers jours notre manque d’affinités, que ce qui ne me gênait pas au départ me gêne maintenant, que je ne suis plus sûr d’avoir envie de partir avec elle et que c’est un mauvais signe qui m’a conduit à cette décision. Elle reconnaît que le dernier week-end passé ensemble était un peu étrange mais qu’elle n’était elle-même pas en très grande forme. Elle m’explique que, n’étant jamais seule cette semaine (elle loge chez sa famille ce mois-ci), elle ne pouvait pas me parler comme elle l’aurait voulu et que notre manque d’accordance téléphonique en est la conséquence.
Nous n’avons vraiment pas eu la même perception des choses au cours de ces derniers jours : elle était « toute contente » à l’idée de m’avoir au téléphone ce soir. Elle espérait même que je rentre plus tôt dans la journée, ce qui lui aurait laissé le temps de venir me rejoindre chez moi pour que nous passions la soirée ensemble. Je la sens réellement triste. Moi, en plus d’être triste, je me sens coupable. Elle respecte mon choix avec beaucoup de compréhension, ce qui continue de m’embourber dans mon malaise. Elle est bien consciente que nous avons parfois des différences et que notre relation est somme toute « temporaire » mais cela ne l’empêchait pas de se faire une joie de partir au bord de la mer avec moi parce qu’elle m’apprécie vraiment.
Nous nous disons au revoir. Je sens sa petite voix faiblir. Je lui promets de l’appeler le lendemain…
Un peu plus tard, elle m’envoie un SMS :

Je me réveille le lendemain avec cette saveur amère de rupture bien ancrée dans l’estomac. Certes, nous n’étions pas Amoureux et mes sentiments mélancoliques n’ont aucune commune mesure avec ceux d’une grande rupture amoureuse. Mais la tendresse et l’attachement font qu’on s’habitue au plaisir de se retrouver l’un et l’autre et que l’arrêt brusque de cette douceur est ressentie comme une petite violence.
Difficile de savoir ce qu’on veut vraiment, finalement… Entre le regret de ne plus se voir et la lassitude de rester ensemble… quelle bizarre sensation que celle de vouloir toujours être ailleurs…
Dans la matinée, je reçois un SMS de Jana :

Je constate qu’elle est au mieux dans le même état que moi. Honnêtement, je la pensais plus distante de moi. Je l’ai toujours trouvée relativement « froide » même si elle m’a toujours dit que c’était une façon de se protéger des autres. Ai-je fait le bon choix avec elle ou aurais-je dû partir quand même malgré mes réserves grandissantes ?
A l’heure du déjeuner, mon téléphone sonne. C’est Jana…
La semaine dernière, une personne de ma famille proche a eu un grave accident. Pendant plusieurs jours, nous n’avons pas su s’il allait survivre ou non. La nouvelle est tombée au moment où Jana venait me retrouver pour le week-end. Dans ce climat refroidi, notre manque d’entente profonde a eu une fâcheuse tendance à ressortir. Intellectuellement, nous ne sommes pas sur la même longueur d’ondes et, si ça n’est pas une nouveauté, ça a mis mes nerfs à rude épreuve.
J’ai voulu aborder notre rapport à la mort et le paradoxe qu’il y a chez les croyants qui croient volontiers au paradis et à l’âme éternelle mais qui pleurent la mort de leurs proches comme s’ils prenaient quelque part conscience de leur réelle disparition. Sujet épineux sur lequel je l’ai trouvée sur la défensive. Je pensais sa foi moins inébranlable. Je suis resté diplomate mais elle ne voulait pas s’exprimer là dessus.
Autre moment, autre sujet : le référendum sur la constitution. Elle n’est pas inscrite sur les listes électorales, n’a jamais voté de sa vie, considère que ça ne la concerne pas et n’avait absolument aucun avis sur la question, revendiquant ne pas avoir du tout entendu parler de cette fichue ratification.
Si nous avions été des Sims, des petits « – » rouges auraient fusé de partout pendant nos conversations. Cela m’a jeté au visage le sentiment qu’en dehors des câlins et des conversations légères, nous n’avions pas grand-chose à nous dire…
Je suis parti dans la semaine soutenir ma famille, suite à l’accident. Jana m’a téléphoné pratiquement tous les jours et m’a envoyé des SMS. Chose appréciable sauf que je n’ai pas ressenti de plaisir particulier à parler avec elle. C’est un mauvais signe mais je n’y peux rien. L’éloignement physique soigné par le téléphone est un coup de vernis sur les affinités : s’il y en a, elles sont magnifiées. S’il n’y en a pas, elles nous sautent aux yeux.
Pire, presque chacun de ses appels a eu sa petite chose insignifiante qui m’a faire sentir à quel point nous n’étions pas dans le même trip. Deux exemples :
1- Jana est avec des amis. Elle me raconte qu’ils se sont achetés 4 petits pots de glace Häagen-Dazs aux fruits. Je lui suggère que ça va sûrement être la bataille pour choisir son sorbet, elle me répond qu’ils vont goûter à tous.
Moi : Vous allez vous bander les yeux pour goûter les différents arômes ?
Elle (sceptique) : Euh non, je crois pas. C’est pas trop le genre ! Mes potes, c’est des barbares. Ils vont la manger, c’est tout.
Goûter de la glace les yeux bandés, ça devait être trop sensuel pour eux. Instinctivement, je les ai d’emblée détestés. Jana et moi n’avons pas du tout le même type d’amis…
2- Je suis en train de tester une longue vue retrouvée dans mes affaires sur un petit groupe de 15-20 ans en train de profiter du beau temps autour d’un barbecue. Je suis curieux en plus d’être voyeur. Je suis en même temps au téléphone avec Jana et lui en fait profiter. Comme je ne bois pas et ne fume habituellement ni cigarettes ni autre chose, contrairement à elle, elle me lance :
Elle (taquine) : Ah, tu as quelques vices, quand même !
Moi (amusé) : Bah… bien sûr ! Je ne t’ai encore jamais attachée ?
Elle : Aaaah… non. Et je ne te conseille pas d’essayer.
Moi (abasourdi) : Ah bon, pourquoi ?
Elle : Parce que ! C’est pas franchement mon délire…
Me voilà calmé, limite réduit à l’état de déviant sexuel en plus de savoir que nos jeux amoureux sont plus limités que je ne le pensais.
Je suis rentré chez moi dimanche exprès pour voter. Tout s’est enchaîné : Coincé dans les bouchons, je suis arrivé sous la pluie battante 15 minutes après la fermeture de mon bureau de vote. Dégoûté. Une fois rentré, mon PC s’est avéré inutilisable à cause d’un problème de carte graphique, ma télévision n’a voulu me délivrer qu’une image rosacée (elle commence à être vieille) et mes claques dessus (habituellement efficaces) n’y ont rien changé.
Par dessus tout, je n’avais plus envie de partir en week-end avec Jana. Week-end que nous avions prévu depuis plusieurs semaines de passer au bord de l’Atlantique du 3 au 6 juin. Un ami au téléphone insiste pour que j’annule tout, me convainc que je me ments à moi-même et que je n’ai aucun intérêt à partir avec elle…
Soirée détestable.
Puisque cette soirée est pourrie, je décide tristement d’expliquer à Jana que je ne souhaite plus qu’on se voit. Son téléphone sonne dans le vide. Vers une heure du matin, elle me rappelle enfin…