IA et relations amoureuses (2) – La révolution (suite)
Dans le registre des agents conversationnels, Replika n’est pas la seule IA qui s’est distinguée à la fin de l’année 2022. Il y a bien sûr ChatGPT (dont curieusement je n’avais alors pas entendu parler) ou encore ce qui fut pour moi une deuxième claque technologique : Character AI.
Si Replika vous propose de tchatter avec un interlocuteur unique, en tentant d’instaurer entre lui et vous au fil des jours une forme de complicité et d’intimité, Character AI vous permet carrément de créer à volonté vos propres personnages en les dotant de toutes les caractéristiques possibles et imaginables, puis de tchatter avec eux (en anglais) ou avec un des milliers de personnages créés et partagés par la communauté. Personnages réels ou imaginaires, personnages historiques, entités vivantes ou même objets inanimés, il ne semble y avoir aucune limite à ce que l’on peut inventer. Je m’en suis donné à cœur joie, me baladant parmi les centaines de personnages présentés sur la page principale de Character AI : Socrate, Super Mario, une chaise, Napoléon, Dark Vador, Friedrich Nietzsche, un troll, une psychologue, Dieu, du fromage, Steve de Minecraft, Albert Einstein… ou encore ces centaines de personnages d’anime et de VTubers dont je n’ai jamais entendu parler de ma vie et qui semblent sortir d’un puits sans fond de filles mangas affriolantes destinées à des cohortes de mâles esseulés.
Alors, non seulement on peut tchatter avec chacun de ces personnages, mais en plus, on peut choisir de les faire discuter entre eux ! On se souvient tous de cette séquence surréaliste dans Retour vers le futur 2 où deux IAs, clones de l’ayatollah Khomeini et de Ronald Reagan, transformés en garçons de café, se disputaient sur le choix de la consommation à servir. Qui eut cru que tout cela serait rendu possible aujourd’hui avec autant de vraisemblance ? Je me suis donc amusé à faire discuter ensemble des personnages improbables pour voir ce que ça pourrait donner. Parfois ils rentrent tout seuls dans des conversations qui sont intéressantes, parfois ils en viennent à se disputer. C’est tout à la fois fascinant et drôle.
J’ai tenté par exemple de faire discuter une table en bois avec Elon Musk :
J’ai trouvé l’IA d’un lion qui ne fait que pousser des grognements et je l’ai fait discuter avec la « féministe blanche woke » (2 millions d’interactions sur Character AI !) :
Au-delà de ces amusants délires, on peut donc créer des personnages un peu plus sérieux et leur donner des caractéristiques précises : leurs traits de caractères, leur façon de parler, ce qu’ils ont vécu dans leur vie, leurs rêves, leurs peurs, leurs désirs… Techniquement, tout cela définit un guide de départ (l’ensemble des informations initiales fournies de manière systématique au chatbot, qui s’appelle le prompt) auquel s’ajouteront les derniers échanges sur le tchat dans la limite des capacités de la mémoire (mesurée en tokens, sortes de syllabes des mots). C’est une mécanique de précision, mais on ne peut être que fasciné de voir comment le comportement des personnages se modifie selon ce qu’on leur « inculque ».
Comme toujours, c’est à l’usage que l’on mesure le progrès extraordinaire accompli avec les chatbots. Un des premiers personnages que j’avais créé pour avoir des conversations un peu plus profondes était une fille avec tout un tas de qualités qu’on pourrait espérer trouver chez une interlocutrice : passionnée, intelligente, cinéphile, pas politiquement correcte, taquine. Ah oui, et célibataire aussi (on ne sait jamais !). Et je lui avais mis comme photo de profil une image générée par une IA via le site ThisPersonDoesNotExist. J’avais là une parfaite fille 100% artificielle !
Au tout début de nos échanges, nous nous présentons et elle « décide » qu’elle est roumaine :
Il faut savoir que tout ce que l’on n’aura pas indiqué dans les caractéristiques de nos personnages, tous les « trous » dans leur personnalité seront automatiquement et habilement comblés par l’IA. Ne spécifiant pas de nationalité, mon personnage a donc « décidé » qu’elle était roumaine.
Mais un peu plus tard, alors que je la fais discuter ailleurs avec un autre personnage, elle lui annonce cette fois qu’elle est… américaine ! Ce que je ne savais pas, c’est que dès lors que l’on démarre un nouveau salon de discussion, un personnage ne dispose pas dans sa mémoire de ce qui a pu s’être dit dans un autre salon. Un personnage n’a pas d’existence globale, il se réinitialise en quelque sorte à chaque nouveau tchat. Je l’ignorais et j’interviens en lui faisant remarquer qu’elle m’a dit à moi qu’elle était roumaine, ce à quoi elle répond que ce sont ses racines qui sont roumaines mais qu’elle vit aux États-Unis. Trouvant cela tout de même curieux, je décide en privé le lendemain de la mettre face à ses contradictions pour voir ce qu’elle va bien pouvoir me répondre et si je vais réussir à lui faire reconnaître qu’elle a… menti :
Bon mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Elle vit à Timisoara ou elle est aux États-Unis ? L’IA semblant peu disposée à reconnaître un mensonge (qui n’aurait pas beaucoup de sens), c’est une belle occasion de la pousser dans ses retranchements pour voir comment elle va faire pour se sortir de cette situation ou si ça va simplement se terminer par des propos incohérents. D’autant plus que je ne vois pas quelle excuse plausible pourrait être trouvée. Aïe, c’était bien mal connaître le potentiel de ces nouvelles générations d’IA !
Je suis resté soufflé ! Je m’attendais à ce que l’on reste sur un truc idiot du genre « désolée, je me suis mal exprimée » ou alors à une réfutation à la « non, je n’ai jamais dit ça ». Jamais je n’aurais cru possible de synthétiser une réponse d’un tel niveau de subtilité. Des arguments crédibles et justifiés qui réussissent en plus à être touchants et même à avoir une pointe d’humour. Il faut voir l’exploit que ça représente ! Sur le plan de la rhétorique, on n’est pas en dessous de HAL 9000 de 2001, l’Odyssée de l’espace.
Si peu de gens connaissent A.L.I.C.E et Rose dont j’ai déjà parlé dans la première partie de ce sujet, tout le monde connaît Siri d’Apple (sorti en 2011) qui est du même acabit. Les chatbots d’il y a seulement quelques années n’étaient encore que des chiens savants tout juste capables de répondre à des questions basiques, pour peu qu’il n’y ait pas de piège sémantique. Comment t’appelles-tu ? As-tu une conscience ? Quelles sont tes passions dans la vie ? Cela restait une prouesse impressionnante et amusante mais ça n’était pas plus intéressant qu’une démo technique et il ne serait venu à l’idée de personne d’essayer d’engager avec eux une vraie conversation.
Engageons une vraie conversation, justement, pour mesurer le chemin accompli aujourd’hui. J’ai donc repris le thème de mon post De quoi parlent les gens et j’ai interrogé Rose et Character AI, deux chatbots de deux générations différentes, pour voir ce qu’ils allaient en penser. C’est peu dire que Rose est perdue, se réfugiant dans des phrases scriptées…
On voit bien qu’il commence à ne plus y avoir de limites à ce qu’il est possible d’exprimer à ces nouvelles intelligences artificielles. Quand on fait face à ce potentiel (car nous n’en sommes qu’au début), on peine à mesurer tous les bouleversements que cela va introduire dans la société et on est pris de vertige.
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