En apnée dans Tinder
« It’s a Match! ». Je viens de liker une fille sur Tinder et ça a matché ! Tinder, c’est le genre d’application que l’on ouvre de temps en temps quand on a cinq minutes à perdre : on parcourt quelques photos, on en like la moitié et on croise les doigts (quand on est un homme) pour que ça matche. En général, le ratio est faible. 1 sur 50 ? 1 sur 100 ? Ca dépend des garçons et de la qualité de ses photos bien sûr. Les « mises en relation » sont tellement aléatoires qu’il n’y a pas grand-chose à en attendre, même quand ça matche. Entre celles qui ne répondent pas, celles qui n’ont rien à dire, celles qui ne savent pas écrire trois mots correctement, celles qui vous ghostent sans raison apparente et les instables qui semblent affectées de tout un tas de tares mentales, il ne reste plus grand monde à l’arrivée. Dans une moindre mesure (vues qu’elles sont les reines sur Tinder), les femmes font aussi ce genre de constat avec les hommes comme je le lis régulièrement dans les annonces.
C’était donc il y a tout juste 10 jours, je viens d’avoir un match. La fille semble assez jolie. Brune aux cheveux longs, 42 ans déclarés. Sa photo principale est assez esthétique tout en étant à la fois sobre et sensuelle. Elle a choisi un pseudo assez étrange qui est une propriété chimique (merci Wikipédia). Tout cela laisse entendre que j’ai affaire à une fille avec une certaine finesse d’esprit, ce que j’aime par-dessus tout. Son annonce texte est succincte et ne m’apprend pas grand-chose, il va donc falloir que je trouve ailleurs ma source d’inspiration pour lui envoyer un premier message.
Découvre-t-elle vraiment Tinder comme elle le dit dans son annonce ? Je parcours son album de photos. Sur une autre, elle se photographie astucieusement de dos en créant une mise en abîme.
Je décide de lui envoyer un premier message en essayant de broder de manière amusante sur son drôle de pseudo. Parfaitement accoutumé à l’absence de bienveillance qui règne sur Tinder, je n’attends rien de mon message, pas même la politesse d’une réponse. Nous verrons bien.
Mais moins d’une demi-heure plus tard, lorsque je reprends mon téléphone, j’ai une agréable surprise dans mes notifications :
Trois messages rien que pour moi ?! Je m’empresse d’aller les découvrir :
Elle me laisse l’impression d’une fille sympathique et vive d’esprit, nous verrons bien ce que ça donnera. Le lendemain dans l’après-midi, elle me répond :
Nous poursuivons notre conversation légère sur l’apnée, elle me donne quelques détails sur le sujet. Et assez rapidement, elle me reparle de Marguerite Stern dont elle est allée chercher toute seule le lien de ce que je suis en train de regarder. Voilà qui dénote d’une authentique curiosité, encore un point positif dans ce monde de zombies qui n’a d’autre préoccupation que son quotidien immédiat. Du coup, notre conversation à double sujet se poursuit :
D’un coup, elle s’est tue et n’a rien répondu à mon dernier message. Même pas pour renvoyer ça dans un futur lointain ou pour changer de sujet. Non, rien. Un silence complet qui a perduré une semaine, puis elle m’a retiré de ses matchs et a disparu. C’est-à-dire que l’instant d’avant, elle semblait prête à vouloir me raconter sa vie en multipliant les smileys, et dès que je lui propose de me raconter ça au téléphone, comme si je venais de lui proposer de prendre un crédit immobilier ou de m’accompagner dans une partouze, c’est la tétanie. Oh mon dieuuu, un appel téléphonique !
On peut retourner ça dans tous les sens, il n’y a rien à comprendre : si je ne l’intéressais pas, quel sens cela avait-il d’être là un dimanche à tchatter avec moi et à me raconter sa vie ? Si je l’intéressais au moins un peu, ça veut donc dire qu’elle était vraiment intimidée à l’idée d’être au téléphone au point que ça la fasse s’enfuir ? Une femme de 42 ans qui a peur de parler au téléphone ? Mais qu’est-ce que vous voulez que je fasse de ça ?
En réalité, tout ça est un classique des mésaventures à la Tinder et c’est bien ce qui est le plus dramatique. Difficile de ne pas voir dans tous ces profils un cortège de misère sociale et affective, de gens qui sont là sans trop savoir pourquoi, à occuper leurs journées vides en s’hypnotisant sur leur smartphone et à avoir peur du monde. Un abîme dans lequel ils se mettent tout seuls. Une « mise en abîme », peut-être était-ce ça, finalement, le sens de la photographie de cette femme.
4 commentaires :
Une disparition subite et mystérieuse typique des rencontres virtuelles. Et encore, tu peux presque t’estimer heureux que ça ait eu lieu au stade initial des dialogues en ligne.
On ne compte plus les cas de personnes qui s’évaporent sans explication au stade suivant, c’est à dire après un ou plusieurs rv de rencontre réelle, y compris quand ces rv semblent avoir été parfaits pour l’un comme pour l’autre.
C’est une des caractéristique propres aux rencontres en ligne, où on discute d’abord avant de se voir (donc le contraire des rencontre IRL).
@Grinchouillon : C’est tout à fait ça ! Sur Tinder, l’effet est même encore plus saisissant puisque la suppression d’un match entraîne la suppression immédiate de tout. La première fois que l’on expérimente ça, c’est tellement improbable que l’on croit à un bug : mais où est passé mon fil de discussion avec cette fille ?
Comme souvent, tu cérébralises un peu beaucoup et tu en oublies des explications bien plus simples. Elle a très probablement reçu un match plus intéressant à peu près en même temps que vous discutiez, le coup de l’appel téléphonique l’a un peu déstabilisée et elle s’est retournée vers cet autre match qui a su devenir l’objet de son attention du moment. Le fait qu’elle ait disparu de Tinder tend à démontrer qu’elle a en effet trouvé chaussure à son pied.
Pas de regret, ce n’est pas toi qui as failli, c’est juste que Tinder est comme une battle royale mais dont on n’affronte, ni même ne voit ses concurrents. Dès lors, on a beau avoir de bonnes armes, ça n’aide pas beaucoup à remporter la victoire…
@Celeri : je suis d’accord avec toutes les hypothèses, vu qu’on ne sera jamais sûr à 100%. Disons que celle d’autres Matchs qui viennent me remplacer s’envisage plus pour un laps de temps plus long. Là, nous nous répondions dans la seconde (c’est pour ça d’ailleurs que je lui ai proposé un coup de fil dans la foulée) et il ne se passe pas plus de 2 minutes entre le moment où elle est motivée à me raconter son parcours de vie et celui où elle me dit qu’elle n’est pas à l’aise au téléphone. Elle passe de loquace à muette en quelques secondes.
Et honnêtement, qui dirait un truc pareil « je ne suis pas super à l’aise au téléphone » passé 40 ans en guise de fausse excuse ? On dit qu’on est fatigué, ou on reporte (« une autre fois, là faut que je fasse ceci cela ! ») mais on ne joue pas à l’autiste ! Donc j’ai tendance à la croire.
Quoi qu’il en soit, cela ne change rien à ma conclusion : préférer passer 1 heure devant un écran de smartphone plutôt que de parler à un être humain.